![]() La Presse Le mardi 26 mars 2002 |
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Photo Bernard Brault, La Presse
Liu Fang est sans conteste la plus grande ambassadrice de l'art du pipa en Amérique et en Europe. Nul n'est prophète en son pays. La Montréalaise d'origine chinoise Liu Fang est sans conteste la plus grande ambassadrice de l'art du pipa en Amérique et en Europe. À l'heure où la Chine entre de plain-pied dans la modernité, Liu Fang perpétue, hors des murs qui l'ont vu naître, cette riche tradition musicale où résonne l'histoire des dynasties d'il y a plus de 2000 ans.
Liu Fang (Fang signifie fragrance) a grandi dans la tradition musicale chinoise. «À Kunming, dans la province du Yunnan (sud de la Chine), ma mère chantait le dianju, genre d'opéra proche de celui de Beijing et j'assistais aux répétitions et aux représentations, complètement captivée, raconte Liu Fang. À six ans, ma mère m'a apporté un pipa (luth chinois à quatre cordes). J'étais douée, mais l'apprentissage est long et difficile.» À 15 ans, elle entre au Conservatoire de Shan-ghaï, où elle apprend aussi le guzheng (cithare horizontale sur table). Malgré les concerts et un succès à l'échelle du pays, Liu Fang ne veut pourtant pas en rester là.
Alors que la Chine vibre au son de la pop, Liu Fang décide, en 1996, d'immigrer au Canada et de faire connaître cet art millénaire en Occident. Depuis, Liu Fang a multiplié les prestations au Canada, aux États-Unis et en Europe, bâtissant sa renommée internationale. Ouverte sur le monde et aux autres influences musicales, elle a collaboré, et parfois improvisé, avec des maîtres japonais, vietnamiens, arabes et indiens, et des musiciens classiques, dont Yegor Dyachkov, violoncelle. Plus près de nous, des compositeurs contemporains tels Melissa Hui, R. Murray Schafer et Tan Dun lui ont écrit des oeuvres.
«Interpréter le pipa nécessite un savant mélange de connaissance de la tradition musicale classique chinoise et de sa propre expérience personnelle. Les différentes écoles sont très rigoureuses, mais aussi très restrictives là-bas. Depuis que j'ai quitté la Chine, je peux m'exprimer plus librement, et transcender les carcans techniques, car je joue avec mon coeur et mon âme.?Liu Fang est-elle aussi reconnue en Chine? «Il doit bien y avoir un millier de joueurs de pipa en Chine contre seulement deux ou trois au Canada. La Chine ne reconnaîtra pas mon talent tant que je ne serai pas une célébrité mondiale. Je ne suis pas Tan Dun!?br>
Complexe, mais poétique
Transcender la technique du pipa n'est pas une mince affaire vu la complexité de l'instrument. En forme de poire, muni de quatre cordes de métal et 30 frettes, le pipa permet une large étendue de sonorités. La main droite, où chaque doigt est enroulé d'un plectre, gratte les cordes et la main gauche crée les effets de tonalité et les nuances. Joué doucement dans les aigus, il peut se rapprocher de la voix humaine rappelant le chant opératique chinois avec les inflexions ondulantes. Mais les cordes peuvent être pincées et grattées avec une telle violence qu'on se dit que Jimi Hendrix n'a rien inventé!
Et il faut savoir que le répertoire de la musique traditionnelle et classique chinoise pour pipa s'inspire beaucoup de la poésie et des drames historiques ancestraux. Du simple paysage au combat légendaire, tous les effets de trémolo, de pizzicato, de cordes frottées, de roulement des cinq doigts si caractéristiques contribuent à leur description. Des titres comme Flocons tourbillonnant sur la verdeur des aiguilles de pins ou Le Roi de Chu se défait de son armure sont de véritables illustrations musicales. «Je compare souvent cette musique à la peinture chinoise. On retrouve plusieurs éléments très détaillés sur une même peinture, et les vides, comme les silences en musique, sont aussi riches de sens que les parties figuratives. Tout est dans la subtilité de traduire les émotions et vivre l'âme même de la musique. Pour moi, l'engagement total est nécessaire, car ça dépasse l'exécution d'une suite de notes.»
À 26 ans, Liu Fang a déjà quatre disques à son actif. Son plus récent The Soul of Pipa I est le premier de trois gravures qui formeront une anthologie de la musique traditionnelle et classique chinoise pour pipa, de la dynastie Tang (618-907 av. J.-C.) à nos jours. Pour l'heure, Liu Fang en donne un aperçu en récital (pipa et guzheng) demain soir au Centre Pierre-Péladeau. Elle est accompagnée du percussionniste Ziya Tabassian pour quelques pièces. Liu Fang avoue être à son meilleur devant un public. Pour l'avoir vue et entendue, je prédis que l'art de Liu Fang fera flotter dans la salle un parfum d'Orient que vous n'êtes pas près d'oublier.
LIU FANG, pipa et guzheng, est en récital demain soir à 20h à la salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau. Info: 514 987-6919 ou Admission 514 790-1245.
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